Manon#1

Bonjour. Je m’appelle Manon. J’ai 24 ans. On m’a dit que j’ai une « maladie ». Ils disent « syndrome de Down », « trisomie 21 ».

Moi, je me sens pas malade. Je vais très bien.

Des fois, j’ai du mal à trouver les mots. Y’a plein de choses dans ma tête et les mots, ça sort pas toujours bien.

Mais je comprends quand vous parlez. Quand vous me regardez, je comprends aussi beaucoup de choses, même si vous croyez que non.

Avec les « normaux », c’est compliqué. Parfois ils parlent et moi je comprends rien. Ça fait tout embrouillé. Je me dis : « mais qu’est-ce qu’ils racontent ? » Ou alors ils disent pas la vérité, ou ils veulent rendre les choses difficiles pour rien.

Ils utilisent des mots, des phrases à l’envers. Moi je sais quand c’est de l’amour, quand c’est de la joie, quand c’est de la peine, quand c’est de la colère. La méchanceté, je la connais bien. Ça, je la sens tout de suite.

Moi, je suis gentille. J’essaie d’être heureuse avec tout le monde. Mais si quelqu’un est méchant avec moi, je vais pas lui parler. Je préfère partir. J’ai pas envie de ressentir le mal.

J’aime bien Justine. Elle me fait rire. Elle est comme une sœur pour moi. Leo, il est gentil. Des fois il fait l’andouille, il est un peu idiot, mais son cœur est propre, il cache rien. Ali, il est compliqué, il est docteur. Il parle beaucoup et on comprend pas quand il écrit. Une fois au supermarché, il a pas mis tous les articles sur le tapis et il a pris un ticket de caisse qui était par terre, mais après il a dit la vérité. Il est honnête, y a pas de mal en lui, il sait que c’est la fin du monde, alors que Leo, il veut pas le croire.

Yaphet et Paul, moi, je vois leur cœur sans parler. Je sais s’ils sont tristes, ou contents, ou fâchés sans qu’ils disent un mot. On se comprends tous les trois.

J’aime bien écrire, j’écris des mots avec une écriture triste ou joyeuse, je dessine la parole.

Melody, elle, elle sait parler avec les autres, mais elle sait encore mieux parler avec moi. On se comprend sans dire un mot, tout de suite. Elle m’apprend pour Manu. Le pauvre, il est dans son fauteuil roulant, il peut pas bouger, ni parler comme les autres, mais il dit beaucoup de choses si on veut bien l’écouter.

On dit que je suis amoureuse de Paul. C’est pas vrai. Paul, c’est comme un frère pour moi.
Je parle deux langues. Ma mère est anglaise, mon père est français. J’ai fait le collège jusqu’en 3ᵉ. J’ai redoublé trois fois. Mes parents ont fait la guerre pour que je reste dans les mêmes classes que les autres. Les gens sont parfois méchants, ou alors, on les oblige à être méchants, ils ne savent pas faire autrement.

Quand j’étais avec les autres, ça m’a aidée à parler mieux avec les gens. Mais les épreuves, ça me stressait trop. Il fallait aller très vite, et moi, j’aime pas courir. Je trouvais ça pas juste. Et souvent ceux qui réussissaient devenaient plus méchants avec les autres.

Une autre chose : les animaux, ce n’est pas vrai qu’ils n’ont pas d’émotion. Ils sentent plein de choses. Ça me fait mal au cœur quand on leur fait du mal, ça me rend triste et parfois en colère.

On sépare les enfants d’avec leurs mamans, on les maltraite.

C’est pas bien. Il faut arrêter.

MANON

Illustration de Otto Machina — Manon est un personnage fictif de la série « Car Ils Hériteront de la Terre »

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